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S uicidez-vous !





      mars 2019 ⁄ n°  335 ⁄ p. 6  représente. Comme si la menace avait pour objectif la destruction d’un corps social en
                  s’attaquant au corps même, celui de l’être humain.
                  Les policiers plus que l’institution sont devenus les boucs émissaires d’une société qui ne
                  trouve plus dans son appareil politique les repères nécessaires pour regarder son avenir
                  obscurci, le soutien d’un « État-providence » qui a fait long feu. Le corps policier devient
                  l’ennemi identifié, représentant concrètement autant d’envie que de rejet dans un rapport
                  de causalité effrayant. Cette violence, il est vrai, trouve sa justification dans le fait histori-
                  quement prouvé que, comme le souligne l’historien Gérard Noiriel, une « loi » sociologique
                  veut que « dans les sociétés démocratiques, ce sont les rapports de force qui déterminent
                  la prise en compte des intérêts sociaux ».

                  Par ces cris, véhiculés également sous de nombreuses formes de messages, nous trouvons
                  là aussi le jeu du « concept de l’imitateur » cher à Gabriel Tarde, qui se trouve amplifié par
                  les réseaux sociaux devenus les anonymes vecteurs premiers de l’opinion publique.

                  On serait alors tenté d’abonder dans le sens des critiques émises par Hans Peter Duerr
                  au processus de civilisation de Norbert Elias, s’agissant du principe de l’autocontrainte
                  notamment. Assiste-t-on à une forme de désinhibition, de décomplexion de la parole au nom
                  de la liberté d’expression qui viendrait mettre à mal le dogme établi du contrat social et
                  qui constitue sans aucun doute une nouvelle violence ? Cette forme insidieuse de violence,
                  fut-elle commise au nom de la liberté n’est pas acceptable car elle s’attaque aux principes
                  mêmes du respect des droits de l’Homme.

                  Pour autant, ces violences ne sont pas nouvelles et même si son observation actuelle vient à
                  les dépeindre comme plus systématiques et plus violentes encore, n’ignorons toutefois pas
                  le passé angéliquement revisité qui, selon David Lowenthal, est « une chose plus admirable
                  lorsqu’il est envisagé comme un domaine de la foi plutôt que du fait ».

                  Le grand sociologue Zygmunt Bauman, dans son dernier livre paru récemment, se pose la
                  question d’un retour à Hobbes en rappelant ce qu’était ce temps d’avant : « un théâtre de
                  guerre, celui d’une guerre de tous contre tous, et donc d’une guerre qui n’était menée par
                  personne en particulier et qui n’était donc dirigée contre personne en particulier ». Il s’agi-
                  rait de s’affranchir aujourd’hui de l’ignorance de l’autre pour revendiquer une suprématie
                  idéologique au nom de quoi la violence est l’unique support.

                  Pour reprendre encore les mots de Bauman, on doit considérer ces imprécations comme
                  une forme autotélique de violence, c’est-à-dire des paroles qui ne visent qu’à obtenir une
                  grande satisfaction pour ceux qui les prononcent.
                  À ceux qui se font les hérauts d’une nouvelle démocratie dont les barricades constitue-
                  raient les fonts baptismaux, et portés par une croyance en une foule majoritairement silen-
                  cieuse, souvenons-nous de la leçon des Sabins : « Arx Tarpeia Capitoli proxima » ou plus dure
                  sera la chute !
                  Quant aux policiers, en ces temps de nihilisme, ils doivent méditer une fois encore le prin-
                  cipe de « l’Amor fati » Nietzschéen : « ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort », et
                  jusqu’à être plus ample informé, si les paroles peuvent blesser, elles ne tuent pas encore.
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